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La nouvelle gouvernance hospitalière est-elle une menace pour les personnels de santé et pour les patients ?

L’égalité, principe fondamental du Code de la santé publique :

 

Les établissements hospitaliers assurant le service public  « garantissent l’égal accès de tous aux soins qu’ils dispensent. Ils sont ouverts à toutes les personnes dont l’état requiert leurs services […]. Ils ne peuvent établir aucune discrimination entre les malades en ce qui concerne les soins ; ils garantissent la solidarité et la fraternité même si les prises en charge sociale des hôpitaux ne sont pas financées à hauteur de ce qu’elles sont et qu’il n’existe pas de dispositif de remplacement. »

 

La loi HPST, Hôpital, Patients, Santé et Territoires, est sans doute le plus important des textes qui aient été présentés au Parlement, concernant la protection sociale en matière de santé.

 

Il a été adopté en Conseil des ministres le 22 octobre 2008 mais sa discussion a commencé à l'Assemblée nationale le 10 février 2009. Le texte a été voté par l'Assemblée nationale le 18 mars 2009, mais il n'a été débattu au Sénat qu'à partir du 12 mai. Il n'a finalement été publié que le 21 juillet 2009, soit 10 mois après son adoption en Conseil des ministres.

 

Le titre de ce projet de loi a changé à plusieurs reprises, de même que son contenu ; avec plus de 300 articles, la version finale a été allégée.

 

Dans sa version finale adoptée en Conseil des ministres le 22 octobre 2008, il comporte 33 articles, mais tous importants.

 

Il comporte quatre titres :

  • - Le titre 1 : « H » traite de l'hôpital. Nous y reviendrons.
  • - Le titre 2 : Accès de tous à des soins de qualité. La démographie médicale, la hausse du numerus clausus, la mort du MICA (dispositif de cessation anticipée d'activité), les zones sous médicalisées, les incitations à l'installation, la question des mesures coercitives, sont autant de sujets abordés dans ce titre 2.

 

Mme Bachelot avait esquissé l'annonce d'une pénalisation financière (la taxe Bachelot) pour les médecins s'installant en zone sur-dense. Finalement, des mesures incitatives ont été préconisées pendant 3 ans, mais le serpent de mer ressort chaque année ; donnent des résultats. Après l'ARS (Agence Régionale de Santé) proposera aux médecins des « contrats de solidarité », pour que ces derniers aillent faire des consultations et des gardes, en zones sous denses, sinon ils paieront une pénalité. Le projet définit les soins de premiers recours. La filière de médecine générale est revalorisée. D'où la forte adhésion de MG France au projet.

 

La coopération entre professionnels de santé est affirmée et le rôle des paramédicaux renforcé. On facilite les cabinets de groupe.

  • - Le titre 3 : Prévention et santé publique. C'est le titre le plus léger de la loi, il vise essentiellement l'interdiction de vente d'alcool aux jeunes et interdit les « cigarettes bonbons ». Officiellement, il renforce la prévention et organise l'éducation thérapeutique des patients.

 

  • - Le titre 4 : Organisation territoriale du système de santé. Ce titre aborde tout le sujet de la régionalisation dans le domaine de la santé. La loi créée donc les Agences Régionales de Santé. Les ARS avaient été annoncées dès le plan Juppé, mais celui-ci s'était limité aux ARH (agence régionale de l'hospitalisation). Les ARS ont effectivement démarré le 1er avril 2010. Les ARS fusionnent sept structures. Les plus impactées sont les DRASS et les DDASS qui disparaissent. Les missions des ARS sont très larges : santé publique, veille sanitaire, gestion du risque et maîtrise des dépenses, lutte contre les déserts médicaux. Le Directeur de l'ARS est un super préfet sanitaire, nommé en Conseil des ministres.

Les ARS contractualisent avec l'Assurance maladie pour la gestion du risque.

 

Contrairement aux ARH (une dizaine de personnes), les ARS sont de grosses structures. L'ARS Ile-de-France compte 1 200 personnes. Au total les 26 ARS regroupent plus de 9 000 personnes.

 

Beaucoup ont vu dans la création des ARS une forme d'étatisation de la santé. Les ARS sont coordonnées par un Comité National de Pilotage. Ceci devrait permettre d'avoir à la fois une véritable politique de santé au plan régional, mais d'éviter d'autre part de créer des assurés sociaux inégaux selon l'endroit où ils se trouveront sur le territoire. Le conseil de surveillance de l'ARS est présidé par le préfet de région.

Après les amendements de l'Assemblée Nationale et surtout du Sénat, la version finale du texte est plutôt édulcorée par rapport au texte initial. L'exemple de l'article 54 sur les refus de soins aux Cmuistes est particulièrement significatif.

 

Depuis 1990, la France a entrepris la révision de ses politiques publiques dans le secteur de la santé à l’instar des pays occidentaux industrialisés.

 

Le but est de contrôler la croissance des coûts tout en continuant à garantir à toute la population un accès équitable à des services de santé de qualité.

 

Les contraintes actuelles, en particulier financières, au sein des hôpitaux sont-elles compatibles avec le soin ?  

 

La nouvelle gouvernance hospitalière est-elle une menace pour l’hôpital ?

 

Quels sont les dogmes ?

 

La rentabilité n’a pas sa place dans un service public, surtout en matière de santé; ce n’est valable que dans le « privé »

 L’hôpital public est un lieu de soins où les mots « bénéfice » et « service comptable » n’ont pas leurs places

 On doit dépenser sans compter pour bien se soigner

 

Un hôpital public en bonne santé doit investir et s’endetter pour sa population locale 

 

Quels sont les points positifs de la loi HPST ?

 

  • Autofinancement par la performance (recettes, baisse des dépenses), les hôpitaux performants seraient récompensés
  • Projets moins politisés dépendant uniquement des possibilités d’investir sur le plan local et maintenant régional (GHT)
  • Economies en mutualisant les dépenses, les commandes (pharmacie, matériel, réactifs de laboratoire…)
  • L’obligation de rechercher des parts de marché, comme dans le privé.
  • La Performance, le paiement au séjour : PMSI, GHM, GHS

 

Le  programme de médicalisation des systèmes d’Information  (PMSI) : autorisé par une circulaire du 5 août 1986 et rendu indispensable par la loi du 31 juillet 1991 qui impose aux établissements de santé publics et privés de procéder à l'évaluation de leurs activités de soins. Chaque médecin code son activité et transmet ses données au DIM 

Le malade est donc classé au sein d'un GHM (Groupe Homogène de Malades), garanti par un compte rendu d’hospitalisation devenu obligatoire.

 

Chaque GHM est associé à son pendant financier défini par l’Assurance Maladie (GHS), définissant la Tarification à l’Activité (T2A)  

 

Chaque hospitalisation d’un malade (un accouchement, une naissance aussi) rapporte donc une somme d’argent, différent du prix de journée qui était avant la seule recette hospitalière

 

La T2A : La tarification à l’activité, le nouveau règne de l’hôpital entreprise

 

Le codage et la T2A : de l’hôpital au service du malade et efficient à l’hôpital entreprise !  

 

Début de la mise en place par les ordonnances de mai et septembre 2005

 

Mise en place progressive jusqu’au 100 % T2A depuis 2008 !

 

Mode de financement qui vise à la mise en place d'un cadre unique de facturation et de paiement des activités hospitalières des établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés : le but théorique, augmenter l’efficacité de l’hôpital 

 

Logique très négative de la T2A : Ce sont désormais les recettes issues des activités hospitalières qui vont déterminer les dépenses et non l'inverse, d’où le risque pervers de « faire vite avec plus d’examens parfois inutiles pour essayer de faire mieux », pour faire sortir des malades rapidement au risque du malade et de la consommation excessive des examens

 

Effet pervers du système : les fournisseurs payés avec des délais > 8 mois, ce qui provoque une pénurie en matériel par non livraison

 

Quels sont les points négatifs de la loi HPST ?

 

  • Il n’y aura pas d’argent supplémentaire (PNB Santé voté par le parlement identique) : qui rembourse les anciennes dettes toxiques ?!
  • Pas d’ouverture du numérus clausus : moins de médecins en formation/moins de médecins soignants/départ en retraite, donc moins de temps à consacrer pour la prévention, même si depuis 2 ans, les passerelles permettent la formation de plus de médecins
  • L’augmentation du nombre de réunions : « la réunionite chronique » avec augmentation du nombre de commissions dirigeantes : obligation de participer ensemble à la gestion de leur structure : restructuration, fermeture de certains services ou de sites de santé, fusion d’hôpitaux (GHT), diminution des dépenses, l’augmentation des recettes est plus illusoire
  • La Gouvernance par le haut, Les Agences régionales de Santé (ARS) sous tutelle du Ministère de la Santé, les directeurs d’hôpitaux qui peuvent exécuter en imposant des contrats d’objectifs et de moyens (CPOM)
  • Les soignants ne sont plus que des « outils » de l’institution, les décisions se prenant souvent en dehors de l’hôpital, à l’ARS

 Ces réformes peuvent remettre en cause la mission sociale des établissements de santé et le principe de solidarité  

 

Les GHT : une opportunité pour la Santé ?

 

Et pour compliquer encore, la création des GHT depuis décembre 2016, un millefeuille, pour un plan de retour à l’équilibre (PRE) donc pour diminuer encore les dépenses

 

La constitution de chaque GHT repose sur l’élaboration d’un projet médical partagé (PMP) entre les établissements de chaque GHT qui ont une direction commune ou qui peuvent fusionner !

 

Encore plus de réunions (dans un hôpital, entre les hôpitaux) encore plus d’économies par fermeture de services identiques 

 

Les CME (commissions médicales d’établissement) ne sont devenues que des chambres d’enregistrement sans caractère de décision. Les décisiosn sont données par la Direction au Directoire

 

Groupements Hospitaliers de Territoire (Décret n° 2016-524 du 27 avril 2016 relatif aux groupements hospitaliers de territoire) 

 

Dans toute la France : 1100 hôpitaux publics (sauf SPH*), environ 135 GHT prévus, plusieurs refus, des boycotts (pourtant interdits par la loi HPST)

 

En IDF : créations de 14 GHT, tous associés à un CHU (déjà constitués en GHTU)

* SPH : hôpitaux privés à but non lucratif comme Saint Joseph, Montsouris, Bry sur Marne

 

 

CE QUE L’ON NE NOUS DIT PAS !!

Véritable enjeu : faire des économies pour que l’assiette du budget annuel de la santé rentre dans les clous du PNB

  • Diminution du budget recherche (CHU)
  • Diminution de l’offre de soins et des remboursements
  • Licenciements de directeurs et directeurs adjoints
  • Suppression de lits et de services hospitaliers : gestion de la pénurie de lits
  • Suppression d’hôpitaux de secteurs et de nombreux services d’urgence, de maternité, de laboratoires
  • Regrouper des services sinistrés en manque de personnel pourrait-il aboutir à créer un service unique de grande qualité ?

L’hôpital public est désormais sous contraintes

 

Le progrès a un coût, avons-nous forcément les moyens de toutes nos ambitions ? 

 

La complexification des contraintes interroge les organisations et les modalités de travail : surbooking, burn-out médical, augmentation des arrêts de travail des paramédicaux (8 à 10 % au lieu des 3 % habituel)

 

Fuite des médecins vers cliniques privées luxueuses car moins de travail et mieux payés, 27 % de postes vacants de PH 

 

Il reste soumis à un système de contractualisation de ses activités (autorisations et volumes d’activités) par les CPOM, il doit développer des activités efficientes et de qualité sur les bénéfices générés : « malades rentables »

 

Les effets pervers du système

 

Ce qui devait permettre d’augmenter l’efficacité de l’hôpital peut devenir une perversion

 

Perversion du changement régulier des tarifs de la T2A pour respecter le budget Santé voté à l’Assemblée Nationale : diminution des prix des GHS, disparition de certains actes codants comme  les saignées des hémochromatoses qui ne sont plus rémunérées en HDJ

 

La liberté d’agir est menacée : les contingences administratives peuvent conduire à récuser des patients les plus coûteux, ceux qui ont des pathologies les plus complexes (pieds diabétiques), les SDF, ceux avec des problèmes sociaux (lits bloqueurs)

 

Hospitalisation de « malades rentables » comme les cancers pouvant nuire à la santé (risque d’infection nosocomiale)

 

La liberté peut avoir aussi un effet pervers par effet de mode d’une nouvelle technique en augmentant le nombre d’examens pour augmenter le codage

 

Effet pervers maximal : soigner moins bien peut augmenter le codage !! Les décès rapportent, faire sortir vite (même si le patient reste malade) rapporte…

 

Aucune reconnaissance financière pour les médecins qui soignent mieux en dépensant moins avec moins d’hospitalisation, moins d’examens… Doit-on donner une prime au mérite ? 

 

Conflit entre « mieux soigner qui demande du temps » et « faire du chiffre en prenant moins de temps »

 

Déclin de l’hôpital public : fuite vers le privé des meilleurs médecins

 

Quels sont les risques de la rentabilité ?

 

Renoncer à sa mission première de soignant de « faire du bien » ?

 

Se retrancher derrière des normes, des procédures, des règlementations visant seulement à une efficience économique pour « faire bien » comme un bon technicien ?

 

C’est affirmer que la liberté est indispensable au soignant et que toute réforme du système de santé et des hôpitaux ne saurait en faire l’impasse. 

 

Si cette démission devenait préjudiciable au patient, il y aurait un risque de perdre le respect et la confiance et paradoxalement une augmentation des conflits et des procès. 

 

 

Alors que faut-il faire ? Revenir à nos 4 valeurs éthiques !

La justice ou équité d’où l’engagement des médecins dans la gestion de l’hôpital en plus d’être clinicien

 

Le respect : même soumis à des contraintes de temps, le respect du malade se traduit par un désir de l’écouter, de partager avec lui un moment de dialogue, le faire participer aux décisions dans un climat de loyauté et d’authenticité, d’où l’idée de valoriser le parcours de soins 

 

La bienfaisance : le principe de bienfaisance nourri par la compassion ne doit pas être mis en danger par une rationalisation qui pourrait être outrancière. 

 

 

 

La non malfaisance : les contraintes budgétaires ne doivent pas imposer d’aller trop vite et faire prendre des risques aux patients

 

Article du docteur Guy Bellaïche, membre du conseil scientifique UPGCS 

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Commentaires: 1
  • #1

    Dr Brette Christophe (samedi, 02 mars 2024 00:04)

    Bravo pour ton courage Guy
    Dénoncer la fuite en avant du système de santé en perdition est déjà en soi un acte de courage.
    La société dans son ensemble doit revenir à l’essentiel… prendre soin de l’autre avec les moyens physiques et temporels pour pouvoir le faire
    Amitiés
    Christophe
    Médecin généraliste 78940